J. Ziegler : la faim, arme de destruction massive

Jean Ziegler, l’inlassable défenseur des opprimés, met au jour avec une implacable précision les mécanismes de destruction des peuples par la sous-alimentation dans son livre Destruction massive : géopolitique de la faim.

Près de 1% de l’humanité décède chaque année, toutes causes de morts confondues, c'est-à-dire 70 millions de personnes. Environ 35 millions d’entre elles meurent de la faim ou de maladies engendrées par la sous-alimentation. Pourtant l’agriculture d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir 12 milliards d’êtres humains. Pas de fatalité donc martèle Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il décrit dans son nouvel ouvrage Destruction massive, géopolitique de la faim (Editions du seuil) les mécanismes d’assujettissement des peuples par la faim et propose des solutions pour y mettre un terme.

Après L’empire de la honte (2005) et La Haine de l’occident (2008), il s’applique une nouvelle fois à défendre les plus vulnérables en leur offrant une voix. Son mandat onusien, lui a accordé le triste privilège d’être le témoin des crève-la-faim du monde entier. Il tire de cette expérience un ouvrage éclairant sur les causes et les conséquences de la crise alimentaire mondiale. Selon lui « le massacre de millions de personnes, femmes, hommes et surtout enfants par la faim, tous les jours est le scandale de notre temps ». Scandale surtout parce que les causes n’en sont pas irrémédiables. Le pourfendeur d’injustice insiste : il suffit dans un premier temps que la population des démocraties occidentales prenne conscience « des dimensions exactes du désastre » pour pouvoir ensuite agir par le vote et faire pression sur les gouvernements. Sur la base de ses propres recherches et des études répertoriées aussi bien par la FAO (Food and Agriculture Organisation) que par des ONG de terrain, il dresse un état des lieux édifiant et pédagogique des responsables de la crise alimentaire actuelle.

Il expose avec clarté l’imbrication pourtant complexe des différents raisons de cette crise.

Quand les Etats prennent aux pauvres pour donner aux riches

 

Du fait des sommes astronomiques dépensées par les Etats occidentaux pour renflouer les banques, les budgets d’aide au développement ont été divisés de moitié. Dès lors, le Programme alimentaire mondial (PAM), par exemple, chargé de fournir de la nourriture aux populations les plus vulnérables a vu ses subventions considérablement réduites, passant de près de 6 milliards de dollars à 3,2 milliards en 2009. Conséquence : de nombreux projets ont dû être arrêtés faute de financement. La crise a eu pour autre corollaire de refroidir la témérité des spéculateurs. A la recherche d’investissements plus sûrs, les grandes sociétés

financières, les banques et les hedge funds ont migré des bourses financières vers les bourses des matières premières agricoles, faisant exploser le prix des trois aliments de base : le riz, le maïs et le blé. A eux trois, ils couvrent environ 75% de la consommation mondiale. Au-delà donc, de la perte de subventions, les ONG d’aide d’urgence doivent aujourd’hui dépenser plus pour acheter la marchandise. Sans compter, la situation dramatique dans laquelle cette augmentation plonge la population des pays du tiers-monde dont le pouvoir d’achat a considérablement baissé. Outre les émeutes de la fin de 2008, en février 2011, la FAO lançait l’alerte : 80 pays se trouvaient au seuil de l’insécurité alimentaire.

Les effets catastrophiques du marché libre


Il démontre avec force d’exemples, les conséquences dramatiques du déversement massif dans les marchés africains, asiatiques et sud-américains de marchandises en provenance des pays industrialisés grâce aux subventions à l’exportation. Dès lors, des paysans déjà soumis par manque d’équipement aux aléas climatiques, ne parviennent même plus à vendre leur maigre récolte beaucoup moins bon marché que les produits subventionnés d’Europe ou des Etats-Unis. Pendant ce temps, à l’échelle étatique, la dette extérieure empêche les gouvernements des pays en voie de développement d’investir dans l’agriculture. Les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI et la Banque Mondiale régissent de manière drastique leur fonctionnement économique. Au Niger, par exemple, le FMI a imposé la dissolution des stocks de réserve de nourriture de l’Etat, utilisés en cas de situation d’urgence (sécheresse, invasion de criquets, inondation) pour nourrir la population. Raison invoquée : ces réserves pervertissent les sacro-saintes règles du libre marché.  En outre, la Banque Mondiale a réalisé en 2006 une étude de faisabilité démontrant que la mise en place d’un système d’irrigation permettrait d’assurer l’auto suffisance alimentaire au Niger. Mais, l’Etat ne possède pas le premier centime pour commencer le projet, or rappelons-le, il est le deuxième producteur mondial d’uranium.


La terre, une valeur sûre

 

La crise de 2008 a amplifié la nécessité d’indépendance alimentaire. Certains Etats, comme les pays du Golfe se révèlent extrêmement vulnérables aux fluctuations des marchés puisque leur sol sec et leur climat aride, les obligent à importer la majeure partie de leurs biens de subsistance. D’autres encore comme la Chine ou l’Inde doivent faire face à une demande intérieure en céréales et en viande croissante, les poussant à délocaliser une partie de leur production agricole. De plus, par les temps qui courent, la terre est devenue un excellent placement, une valeur sûre. Les Hedge Funds américains et les banques européennes ont alors acquis, en 2010, 41 millions d’hectares de terre arable en Afrique, pour les revendre au moment opportun et réaliser une plus-value. Dans le même temps les paysans travaillant originellement sur ces terres, se font exproprier avec pour seule consolation - dans une minorité des cas - la possibilité de devenir ouvrier agricole. Or l’implantation de monocultures géantes, gourmandes en eaux, épuise les sols et prive les derniers agriculteurs à la marge de ces larges territoires des ressources suffisantes à la culture vivrière.

Néanmoins, malgré ce tableau sombre, Jean Ziegler, invite le lecteur à rester optimiste, les solutions existent, et la lutte s’organise. Multitude d’organisations locales, nationales et transnationales fleurissent et défendent leur droit tant bien que mal. Du côté occidental, il le souligne, la prise de conscience demeure le premier pas vers le changement.

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