Coup de Coeur

Henry Bauchau : L'écriture d'une oeuvre

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Quand la peinture rencontre la littérature...Dialogue entre deux disciplines dont les correspondances nourrissent de belles perspectives. Analysons comment les relations entre peinture et littérature ouvrent de nouvelles voies à nos lectures. Retrouvons le dernier texte d'Henry Bauchau Déluge qui nous a enthousiasmés. Quelle place donner à l'art dans le récit écrit ?

Le dernier livre d'Henry Bauchau, Déluge, narre l’histoire de Florian, "peintre pyromane" qui rencontre par le hasard de la vie Florence une jeune-femme brillante, professeur de lettres, atteinte d’un cancer. Florian, ce héros vieillissant et pyromane a eu de multiples vies et plus d’un tour dans son sac ! Sur l’un des chemins de son existence, il a rencontré Hellé, cette femme médecin qui l’a entendu et lui a redonné l’envie de créer. Puis, comme à travers cette belle idée de filiation, Florian rencontre Florence. Avec elle et les compagnons improbables de rencontres étonnantes, Simon, Albert Margot, Antoinette et Jerry, Florian s’embarque dans l’entreprise d’un immense tableau. Le lecteur est porté par un souffle, tour à tour celui qui nous ramène aux temps anciens, où les peintres construisaient leurs œuvres avec l’aide d’autres artistes et aussi à la force de se dépasser dans la création artistique ou littéraire.

L’écrivain sage

Dans ce dernier livre, on entend le questionnement d’un homme qui revient sur sa vie mais aussi, comme le sage ,il nous donne les moyens d’aller au-delà, car « la puissance du verbe se joue bien du temps qui passe ». Le personnage de Florian est ce vieil homme usé par les années mais aussi celui avec qui le petit Jerry s’entendra le mieux. Le processus créatif permet d’abord la distance avec le temps. Souvent, on est surpris de la jeunesse du personnage de Florian qui tout en ayant du mal à se déplacer peut gravir des montagnes et tendre vers l’immensité.

Eloge de la volonté et du désir de se dépasser. Une œuvre pour la liberté. Car, Florian travaille à la réalisation d’une toile absolue inspirée du mythe de l’Arche de Noé. Lorsque Hellé, courbée par la maladie rentre dans l’atelier, soudain un spectacle inouï se dévoile. Le rideau se lève au moment où Florian fait signe. « Simon et Florence écartent un double rideau et je vois la stupéfiante succession de scènes (…) Je ressens que la force, le danger, l’espérance sont partout (…) Je vois que sous des formes diverses les hommes se menaceront toujours d’autres déluges. » L’ombre d’Hellé plane tout au long du livre et à la fin, elle apparaît au moment où la toile s’accomplit.

« Cette admirable vision de la survivance de la vie malgré le déluge, semble miraculeuse. Mais il n’y a pas de miracle, rien que le lent apprentissage  de la vie et de l’art pour Florian, sa lutte pour la liberté de l’imagination et la transmission qu’il en a faite à ceux qui ont travaillé avec lui. En cette œuvre le mystère se joint à la clarté promise à ceux qui viendront la contempler. ». Ces mots de Hellé traversent les dernières lignes de Déluge et la transmission est assurée dans les derniers mots, tandis que Jerry monte dans l’ambulance à côté de Hellé et répond aux mots de cette dernière : « J’ai promis à Florian de faire ce qui manque et de composer, un jour, l’arc-en-ciel, en musique ». Quel plus beau cadeau et présage de l’espoir inébranlable d’un immense écrivain.

Le fou pyromane

Figure de la différence, de la marginalité, ce fou pyromane est le centre du roman de Bauchau.
Avec le personnage de Florian, Henry Bauchau brosse le portrait d’un marginal, en perpétuel combat avec ses démons. Il est peintre mais un peu différent des autres puisqu’il est pyromane et qu'il jouit de faire brûler ses oeuvres.

Il y aurait beaucoup à dire sur la symbolique du feu qui brûle et qui est à la fois source de vie, de lumière, d'espoir, d'amour. Toute l'ambivalence de cet élément est présent à chaque page du dernier roman de Bauchau. Brûler pour faire disparaître mais aussi pour jouer avec le feu comme dit le proverbe. Florian est ce grand enfant qui flirte avec le risque et la folie.

Le spectre de la maladie

Florence, Florian puis Hellé. La maladie était déjà présente dans le dernier livre de Bauchau Le Boulevard Périphérique. Dans Le Déluge, elle se développe autour de trois figures. La première est celle de Florence, atteinte d’un cancer. La seconde apparaît autour du personnage de Florian, artiste pyromane, atteint de la maladie du feu. La troisième est incarnée par Hellé, celle qui soigne et qui souffre. En effet, à la fin du texte, Hellé est elle aussi atteinte d’une grave maladie. Elle vient voir l’œuvre de Florian et de son atelier. Malgré sa maladie, elle veut rentrer seule dans l’atelier, aidée de ses seules cannes pour regarder l’oeuvre. Elle découvre à travers la peinture le fruit de son travail de médecin. Elle peut se féliciter car le tableau est la preuve des progrès inouïs de Florian. Hellé a vu en Florence  la personne qui pouvait aider Florian. Les souffrances ont dialogué. L’un et l’autre ont échangé l’indicible à travers la peinture. Elle est l’outil de la guérison. A travers, se déploie le silence, le retour sur soi et l’apprivoisement de la matière. Le texte souligne les luttes avec la force de cette matière que le peintre offre à la toile.

La guérison par la création et le silence

Le tableau, cette œuvre immense, fruit de longues heures de travail incarne à lui seul les luttes avec le mal. "lI creuse le tunnel dans le centre même de ma maladie. "Il l’enfonce avec ses pinceaux, je crie, il crie de fureur ".Après cette scène d’une très grande violence entre Florian et Florence, cette dernière va à l’hôpital faire ses examens. Le médecin est sévère et la gronde de n’être pas venue plus tôt. Etonné, le médecin constate que « la douleur semble endormie » Plus tard, Florence note « Quand je suis retournée quelques jours plus tard au laboratoire, on me dit que les tests sont bons. La laborantine que je connais a l’air stupéfaite : « Comme si vous n’aviez plus rien ». Quant au médecin après plusieurs vérifications des examens, souligne « Je ne comprends pas, c’est comme si vous étiez guérie » (68).
La peinture a ainsi sauvé Florence comme une croyance. Il n’est pas anodin de souligner que le sujet de l’œuvre est au départ religieux. Un courant passe donc bien entre la peinture et la foi. Au cœur de cette œuvre immense se profile aussi la figure de la volonté. L’œuvre nécessite de la patience, du temps et de la volonté. Il faut croire et vouloir pour arriver au bout de cette aventure.

Le silence de la peinture

« On est bien tous les deux. Toi…Tu comprends la peinture (…) La  peinture est là en lui. Entre nous, en nous. La peinture que je sens circuler de son bras à mon bras » souligne Florian à Florence. La peinture intervient comme un fluide que les deux personnages sentent circuler en eux. Point de mots, seules les sensations déployées par la matière. Nous sommes très proches de cette notion d’énergie positive et curative.
La peinture nécessite le silence. Seuls les gestes et le regard importent. C’est au cœur de ce silence que l’œuvre peut se développer et permettre à terme l’épanouissement.
C’est ce même silence dont parle l’auteur lorsqu’il confie en 2008 après avoir reçu le Prix Intérallié, à Marine Landrot pour Télérama: "Si l'homme laisse le silence s'installer, la vérité finira toujours par sortir, même entre les lignes
Pour l'écrivain comme pour le peintre, il s'agit de chercher à apercevoir sous de la matière ou sous des mots quelque chose de différent qui va plus loin, écho à la célèbre exclamation de Van Gogh: "Aller plus loin!" que Merleau Ponty décrit comme le fondamental de la peinture et peut être de toute la culture.

Ouvrir le champ des possibles grâce au dialogue entre peinture et littérature

La lecture d'un texte littéraire au regard de la peinture ouvre le champ des possibles et donne lieu à une nouvelle lecture
Cette posture semble proche de la possibilité développée par Martin Heidegger de "la parole" permettant d'habiter poétiquement la terre.
Aussi, si l'image répond à des qualités de simultanéité induisant notre regard à l'épouser tout entière d'un seul coup d'oeil; l'écriture, elle s'attache à rendre sensible des impressions et des sensations au fil d'un texte nécessairement en mouvement. De page en page, le texte file au gré d'une pensée qui évolue au fur et à mesure de la lecture. Appréhender les domaines de la littérature et des arts plastiques relève d'un questionnement sur le temps partagé entre mouvement et immobilité.

Psychanalyste, poète et écrivain de l'intime, à plus de 95 ans, Henry Bauchau n'a pas fini de nous étonner et de nous émerveiller. Il confiait après avoir obtenu le prix Intérallié que les arbres l'inspiraient particulièrement: "Ils me parlent de vigueur, de durée, de mort. Par leur seule existence, ces cathédrales végétales me dispensent un enseignement plus fort".  Un magnifique message, un art de vivre, où l'écriture désigne autant qu'elle imagine.

En savoir plus

Henry Bauchau, Déluge, Actes Sud.

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Henry Bauchau, Le Boulevard Périphérique, Actes Sud.

Henry Bauchau, Antigone, Actes-Sud.

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