Référence

A la (re)découverte de Bernanos

Le 15 octobre 2015, la célèbre collection de la Pléaide a réédité en deux tomes l'ensemble de l'oeuvre romanesque de Georges Bernanos, célèbre écrivain de la première moitié du XXème siècle. Viabooks revient sur les pas de cet auteur célèbre tant pour la foi qui nourrit ses romans que pour la verve qui anime ses pamphlets.

Une éducation catholique et monarchiste : les racines d’une identité

Georges Bernanos naît en 1880 à Paris, dans une famille aux racines paysannes. Il passe sa jeunesse en Artois, une région du Nord de la France qui inspirera une grande partie de son œuvre. Il y reçoit une éducation monarchiste et catholique, qu’il gardera tout au long de sa vie. Cependant, sa famille a à cœur de lui inculquer l’importance de concilier croyance et distance critique. « Dans ma famille catholique et royaliste, j’ai toujours entendu parler très librement et souvent très sévèrement des royalistes et des catholiques. Je crois vraiment qu’on ne saurait réellement « servir » (…) qu’en gardant vis-à-vis de ce qu’on sert une indépendance de jugement absolue. ». Cette « indépendance de jugement absolue » est ce qui définira l’engagement politique de Bernanos durant sa vie.  

L'expérience de la guerre

Le jeune homme commence à militer dans les rangs de l’Action française, mouvement politique d’extrême-droite de la première moitié du XXème siècle. Ce mouvement radical est connu pour être monarchiste, antisémite, anti-républicain et anti-individualiste. Celui qui se définira plus tard comme résistant à tous les « anti » prendra progressivement ses distances vis-à vis de ce mouvement.

Pendant la Première Guerre mondiale, il s’engage dans l’aviation puis dans le 6ème régiment des dragons. Il est cependant réformé après une blessure. L’expérience de la guerre le marquera profondément, lui et son œuvre. Marié à une descendante de Jeanne d’Arc, il vit précairement pendant quelques années, avant la publication de son premier roman, Sous le Soleil de Satan, un succès immédiat…  

Les romans de Bernanos ou les « poèmes du sacerdoce » (Malraux)

Sous le Soleil de Satan est le premier roman de Bernanos, paru en 1926. Le titre, à la fois poétique et énigmatique, surprend par son caractère oxymorique. Pourquoi parler du « soleil de Satan », alors que ce dernier est traditionnellement associé à l’ombre et à la nuit ? Associer Satan au soleil peut être une façon de désigner son pouvoir d’illusion et de tromperie, Satan ayant la faculté d’aveugler les hommes. Ce titre peut aussi symboliser l’Apocalypse pendant laquelle « le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang ». Dans tous les cas, ce titre évoque le Mal, le Péché, et surtout la nécessité de s’y opposer.

Dans Sous le Soleil de Satan, comme souvent chez Bernanos, le personnage principal est un jeune religieux,  l’Abbé Donisson. Ce personnage est inspiré d’un personnage réel, le curé d’Ars, célèbre ecclésiastique né en 1786, nommé patron des curés de l’Univers en 1929.

L’Abbé Donisson est un prêtre tourmenté, en proie à de nombreux questionnements. Il se demande s’il est réellement capable d’exercer ses fonctions et de sauver les âmes qui lui sont confiées. Le personnage de la jeune Mouchette cristallise ces doutes. Cette jeune fille, soumise aux désirs des hommes, est prise dans l’engrenage du malheur. Comment lui venir en aide ? Est-ce possible ? Malgré ses doutes et la difficulté de sa tâche, le jeune abbé doit rester solide dans sa foi et dans son engagement. Ce combat personnel va se matérialiser par une rencontre avec Satan lui-même. Bernanos emprunte ici au genre du fantastique gothique, genre littéraire s’étant développé entre le XVIIIème et le XIXème siècle. Il montre l’union entre le fantastique et le réel, comme l’avait fait avant lui Barbey d’Aurevilly auteur des Diaboliques, auquel a souvent été comparé Bernanos. A l’issue de cette confrontation, le jeune abbé reçoit le don de « lire dans les âmes » et témoigne de la victoire de la sainteté sur le Mal. Ce premier roman met en avant une image particulière de la sainteté, reposant non sur les prodiges ou les grandes actions, mais sur un engagement quotidien et indéfectible, nourri par la foi et la patience, et une faculté de se consacrer entièrement à autrui. 

De nombreux points communs unissent Sous le Soleil de Satan et Journal d’un curé de campagne, probablement le roman le plus célèbre de Bernanos, publié en 1936 alors que l’auteur est aux Baléares. Le personnage principal est un jeune curé, le Curé d’Ambricourt, lui aussi en proie aux doutes et aux remises en question. On retrouve dans ce roman le thème clé de l’âme comme siège d’un combat entre le Bien et le Mal.

L'incarnation du personnage

Ce personnage s’inspire d’un modèle réel, Sainte Thérèse de l’enfant Jésus, appelée aussi Sainte Thérèse de Lisieux. Cette sainte, qui a été béatifiée et canonisée, s’est fait connaître en défendant une nouvelle conception de la sainteté, reposant sur les actes simples du quotidien. C’est ce modèle de foi que va tenter de mettre en place le curé d’Ambricourt. Et celui-ci aura fort à faire. Dans les premières pages du roman, il arrive dans sa paroisse, qui lui paraît bien morne sous « le ciel hideux de novembre »… Et face à cette triste image, il n’éprouve que de l’impuissance : « Ma paroisse est dévorée par l’ennui, voilà le mot. Comme tant d’autres paroisses ! L’ennui les dévore sous nos yeux et nous n’y pouvons rien ». Le jeune curé confie à son journal les efforts effectués pour tenter de guider et de sauver les âmes perdues de ce petit village isolé. La tâche est rude et laborieuse mais il doit continuer, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la mort. Le dernier mot du roman est resté célèbre, par sa simplicité et sa puissance. Le « tout est grâce » final (qui est un mot de Sainte Thérèse de Lisieux) suggère la victoire de « la vocation sacerdotale » du prêtre, qui se mue dès lors en saint.

Selon Malraux, Bernanos a beaucoup apporté au roman en permettant un élargissement de la vision du « personnage ». Avec lui, le « personnage » s’est mué « incarnation ». Chez Bernanos, les personnages ont en effet peu d’importance en tant que tels. L’important réside dans la voix et dans le message porté à Dieu. Dans Journal d’un curé de campagne, le récit est à la première personne mais il conserve pourtant une forte dimension impersonnelle. Toujours selon Malraux, « Bernanos n’est nullement en face du curé d’Ambricourt, il n’est en face que des âmes perdues. Et encore ».

L’écrivain engagé : la formation d’un esprit libre

Le premier pamphlet écrit par Bernanos, intitulé la Grande Peur des bien-pensants est publié en 1931. Celui-ci est nourri de l’idéologie de l’Action Française et se présente comme un réquisitoire violent contre la Troisième République, la bourgeoisie et l’argent, l’association des juifs à la finance.

Avec Les Grands cimetière sous la lune, publié en 1938, on voit toute l’évolution intellectuelle de l’écrivain. Si la Grande peur des bien-pensants était directement liée aux idéologies de la droite nationaliste, ce second pamphlet lui attirera les foudres de son ancienne famille politique. Alors que l’Espagne est déchirée par la guerre civile, Bernanos prend parti contre le mouvement franquiste, en dénonçant sa violence, et contre l’Eglise espagnole, qui adopte une attitude conciliante face à la politique de Franco.

L’évolution idéologique entre ces deux pamphlets illustre bien l’esprit critique de l’auteur. Ainsi, si au milieu des années 30 il sympathisait avec des idéologies antisémites, il s’engage à partir de 1940 auprès de Charles de Gaulle et rejoint les FFL à Londres. Une fois la guerre remportée, De Gaulle lui propose une place au sein du gouvernement, qu’il refuse. Trois fois nommé pour la Légion d’Honneur, il décline de la même façon cette décoration honorifique. Bernanos s’est construit un esprit libre et indépendant, qui refuse de se conformer une fois pour toute à une idéologie. En cela, aujourd’hui plus que jamais, il reste un modèle.

L’édition en Pléiade : à la (re)découverte de Bernanos

Il est vrai que Bernanos peut sembler à première vue un écrivain déconnecté de notre société moderne. Chrétien, sa foi nourrit profondément toute son œuvre romanesque. L’œuvre de Bernanos peut-elle encore toucher une grande communauté de lecteurs, de croyants  ou de non croyants,  vivants dans une société laïque ?

Comme Paul Claudel, autre auteur chrétien encore beaucoup lu et étudié, Bernanos a encore des choses à dire et à transmettre. Sous le Soleil de Satan et Journal d’un curé de campagne restent des romans classiques qui se distinguent par la beauté de leur langue et la puissance de leur forme. Dans les deux romans, les moments d’acmé dramatique (la rencontre avec Satan pour le premier, la conversion de la comtesse pour le second) sont aptes à transmettre des émotions fortes au lecteur, et à le « transporter », non  pas au sens religieux, mais bien au sens littéraire : celui de vivre des histoires imaginaires tout en éprouvant des émotions bien réelles.  L’édition de la Pléiade avait déjà consacré deux tomes aux "Essais et écrits de combats" de Georges Bernanos, en 1995. Le 15 octobre 2015, c'est l'ensemble de la création romanesque de l'auteur qui est rééditée.  Dans le Tome 1 apparaissent entre autres Sous le Soleil de Satan, Madame d’Argent, Une nuit, Dialogues d’ombre. Dans le Tome II, on pourra lire Journal d’un curé de campagne, Nouvelle histoire de Mouchette, Dialogues des carmélites (dans une édition qui fait apparaître l’état de manuscrit de cette œuvre publiée posthume). En appendice, des nouvelles de jeunesse, des extraits de manuscrits, de lettres et d’entretien.

 

En savoir plus

>La bande annonce du film réalisé par Maurice Pialat "Sous le soleil de Satan"

>Lire un extrait de " Bernanos, le mal-pensant" de Jean Bothorel (Grasset)

>Extrait de la biographie  "Bernanos , le mal-pensant" de Jean Bothorel (Grasset)
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